Professeurs dans la souffrance, ne restez pas seuls !

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Posté par : SOS Éducation 15 novembre 2019 Aucun commentaire
L'Observatoire de la souffrance des professeurs - Liberez la parole

Le ministère de l’Éducation nationale vient d’annoncer que 58 suicides ont été dénombrés au sein des personnels de l’Éducation nationale sur l’année scolaire 2018-2019.
37 hommes et 21 femmes ont ainsi perdu la vie. Ce n’est malheureusement pas nouveau : la violence que subissent nos professeurs peut engendrer des souffrances infinies… jusqu’au drame.

Comme vous le savez déjà, SOS Éducation combat la violence subie par les élèves et les enseignants.

En 2011, SOS Éducation crée L’observatoire de la souffrance des professeurs, un espace d’expression libre et indépendant pour s’exprimer sans crainte de jugement ni de représailles.

Quand la pression est trop forte, ou quand l’actualité rappelle des blessures douloureuses enfouies, certains professeurs nous demandent de témoigner, non plus seulement pour eux, car libérer la parole est nécessaire pour sa propre rémission, mais surtout pour les autres.

Pour ceux qui souffrent en silence, ceux qui n’osent pas en parler, ceux qui ont honte, ceux qui culpabilisent, ceux qui pensent que le problème, c’est eux. Ces enseignantes et enseignants qui nous demandent aujourd’hui de publier leur témoignage le font pour tous les enseignants qui souffrent, pour leur dire qu’ils ne sont pas seuls, que souffrir au travail au point de penser au pire, ce n’est pas ça le métier d’enseignant.

Aujourd’hui, nous vous présentons le témoignage de Robert Martin, enseignant à la retraite depuis 4 ans, qui se définit comme un rescapé de l’Éducation nationale.

Son témoignage nous est parvenu quelques jours après le suicide de Christine Renon, directrice d’une école maternelle. Touché par ce décès survenu quelques jours après la rentrée des classes, Robert Martin a voulu nous faire part du déroulé de sa longue carrière professionnelle semée d’embûches.

Témoignage

de Robert Martin

(Note : le prénom et le nom ont été changés pour protéger la personne qui a témoigné)

Je témoigne pour vous informer sur les circonstances dans lesquelles j’ai mis un terme à ma carrière d’enseignant. Je suis un ancien « prof d’EPS » officiellement à la retraite depuis l’année 2015. Les événements tragiques de ces derniers mois ont réveillé la colère que j’avais en moi depuis quelques années.

Ma carrière, débutée au milieu des années 70 quelque part dans la région parisienne, s’est achevée dans la région bordelaise, sur un « KO » avant la fin du temps réglementaire…

À tout vous dire, je pensais être présent sur mon lieu de travail le jour où je mettrais fin à mon activité professionnelle… Mais hélas, je n’avais pas imaginé que j’allais être placé officiellement en « congé longue durée » les onze derniers mois de ma carrière.

Je pense avoir vécu les quinze dernières années en totale rupture avec un système qui devenait pour moi insupportable. Une profession qui, progressivement, est devenue à mes yeux dépourvue de tout intérêt alors que j’étais, à la base, un passionné.

L’institution avait réussi à me broyer. J’éprouvais malgré tout autant de plaisir à enseigner mais je me sentais en total décalage avec les idées fumeuses qui gravitaient dans les hautes sphères de notre administration.

J’ai choisi de rentrer en résistance en refusant de me plier aux diktats de la pensée unique et en préservant une part de liberté dans mon enseignement (un peu comme cette institutrice qui dans les années 80 refusait d’obéir à son inspection et avait été sanctionnée par sa hiérarchie parce qu’elle continuait d’apprendre à ses élèves la lecture en appliquant la méthode syllabique.)

Je suis dès lors devenu « un prof survolté », une « cible à abattre », simplement parce que je refusais de rentrer dans le moule.

En 2011, j’étais encore sur le terrain, ou plutôt sur le « front », compte tenu du climat de tension dans lequel nous étions obligés, avec quelques collègues, d’exercer notre métier. J’enseignais dans un collège de la banlieue bordelaise que l’on peut qualifier de « facile » car il est situé dans un secteur privilégié.

Toutefois, cet établissement disposait d’une SEGPA (section générale d’enseignement professionnel adapté) regroupant des élèves en grandes difficultés, qui ne pouvaient suivre un enseignement général de collège. Malgré le faible effectif par classe (entre 12 et 16 élèves), enseigner dans ces classes relevait parfois de l’exploit. J’avais affaire, la plupart du temps, à des élèves totalement déstructurés.

J’ai ainsi été confronté à une situation qui m’a amené à exclure de cours un élève particulièrement dangereux. J’ai, en effet, dû recadrer un gamin de 14 ans qui menaçait de mort un de ses camarades avec une extrême violence et qui a tenu à mon égard des propos absolument intolérables : « Toi, je nique ta race ».

J’ai un rapport circonstancié car je souhaitais que cet élève ne réintègre pas mon cours car il mettait en danger ses camarades et moi-même par la même occasion. Le plus insupportable à mes yeux fut de constater la lâcheté et l’irresponsabilité du chef d’établissement et du directeur de la SEGPA qui ne voulaient pas prendre la mesure des événements et les décisions qui s’imposaient en pareille circonstance.

N’obtenant aucun soutien de ma hiérarchie, j’ai donc pris la décision de ne plus accepter cet élève dans mon cours malgré les injonctions de mon chef d’établissement me demandant de le réintégrer.

Cet élève a dû faire l’objet de 54 exclusions de cours et 28 rapports disciplinaires avant de passer en conseil de discipline pour être définitivement exclu du collège.

Nous apprenions l’année suivante que cet élève était finalement en prison pour vol à l’arraché sur la voie publique. Ce fait divers aurait dû faire l’objet d’un signalement mais l’incompétence et la lâcheté de certains responsables ont concouru largement à la dégradation de nos conditions de travail dans de plus en plus d’établissements scolaires.

Beaucoup d’intellectuels, dont le sociologue Marcel GAUCHET, ont dénoncé le manque de soutien dont étaient victimes les professeurs de la part de leur hiérarchie. Je trouve qu’un ouvrage comme « l’école de la lâcheté » de Thierry Maschino ou « le pacte immoral » de Sophie Coignard prennent toute leur signification aujourd’hui.

Je compte sur votre association pour relayer mes propos et dénoncer un phénomène dont on ne parle pas assez : la souffrance des enseignants. Cette souffrance est un fléau qui gangrène notre système éducatif à cause d’une institution qui s’est surtout signalée par son immobilisme et sa lâcheté. Le « prof » est devenu une mesure d’ajustement au nom du « surtout pas de vagues ».

J’ai pu constater par la suite que je me trouvais face à un système totalement verrouillé de l’intérieur et savamment orchestré à tous les échelons (ministère, rectorat, inspection académique, établissement scolaire) par des personnes qui appartiennent toutes à la même mouvance.

On peut dès lors dire que notre Éducation nationale est entre les mains d’illusionnistes en représentation. Tous ces « bonimenteurs, ces donneurs de leçons, ces dangereux individus » se trouvent à tous les niveaux… Les profs, les chefs d’établissements, les inspecteurs, les syndicalistes, les politiques…

Tous ces gens-là ont un point commun : ils brassent beaucoup d’air et font semblant de nous faire croire qu’ils agissent dans l’intérêt des élèves alors que leur seule préoccupation réside dans le fait d’exister pour préserver leurs petits privilèges. On est sûrs d’une chose : ils ont réussi à rendre notre système éducatif de moins en moins performant et de plus en plus inefficace.

Vous comprenez que, dans ces conditions, la retraite fut pour moi une véritable délivrance. J’ai pu ainsi me concentrer et œuvrer pleinement sur ce qui m’a toujours passionné. À la base, j’étais un prof respecté par mes élèves avec un désir constant de toujours les faire progresser.

Aujourd’hui, je continue à dispenser mon savoir-faire à travers mon activité d’entraîneur et je vis une véritable résurrection.

 

— Robert Martin

Plus que jamais nous sommes conscients de la souffrance engendrée par les actes de violences physiques, verbales et symboliques (absences répétées de soutien de la hiérarchie) que subissent au sein des établissements scolaires les enseignantes et les enseignants, et plus que jamais nous souhaitons combattre ce mal.

Vous l’aurez compris, chaque témoignage compte.
C’est ensemble que nous pourrons combattre la souffrance des professeurs par l’écoute, le dialogue et des actions ciblées pour faire changer les choses.

C’est pourquoi SOS Éducation a mis à disposition des enseignants le site de L’observatoire de la souffrance des professeurs. Un espace entièrement dédié à l’écoute et à l’accompagnement des professeurs en situation de souffrance.

Si vous le souhaitez, vous pouvez découvrir sur le site de L’observatoire d’autres histoires fortes, racontant à vif ce qui se passe dans les établissements.

Enseigner est le plus beau métier du monde,
nous devons tous œuvrer pour qu’il soit reconnu et valorisé !

P.S. : Si vous ou des collègues, des amis, de la famille, êtes victimes de souffrances à l’école, contactez-nous. Rendez-vous sur le site de L’observatoire de la souffrance des professeurs. Nous sommes là pour vous aider, surtout ne restez pas isolés face à cette souffrance.

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