ÉRIC CHARBONNIER
Le premier enseignement à retenir c’est finalement le statu quo des performances puisque la France est légèrement au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE. C’est une performance « honorable », mais pas non plus faramineuse. Cela reste quand même un point positif.
Le deuxième enseignement, c’est que le niveau des inégalités sociales reste très haut : la France fait partie des pays les plus inégalitaires des pays de l’OCDE. Dans notre pays, quand on vient d’un milieu défavorisé, on a beaucoup moins de chances de réussir, par rapport aux autres pays. Cela est contraire aux valeurs d’égalité qui sont chères à notre société.
Le troisième enseignement de cette étude est le fait que les élèves sont plutôt heureux à l’école (note de 7/10 sur la satisfaction), mais avec un climat d’indiscipline très fort : la France fait partie des trois pays avec le plus d’indiscipline à l’intérieur des classes. Les élèves sont heureux, mais ils évoluent dans des classes où il y a beaucoup de bruit… Cela engendre tout un ensemble de questions : Les enseignants en milieux défavorisés sont-ils vraiment préparés à la difficulté de ces classes ? Avons-nous suffisamment investi de ressources ? Les chefs d’établissements ont-ils assez d’autonomie pour gérer ce climat scolaire ?…
ÉRIC CHARBONNIER
Il faut toujours du temps pour évaluer les réformes, surtout que l’étude PISA se concentre sur les élèves de 15 ans. Depuis 2012 en France, les gouvernements successifs ont conscience des problèmes et investissent dans l’Éducation et surtout dans les établissements défavorisés. Ce sont là des leviers qui peuvent améliorer le système éducatif général. On pourra mesurer les premiers effets dans PISA 2024 ou 2027 et il faut espérer que cela aide à améliorer la situation.
En France, il ne s’agit pas tant d’un problème d’argent : nous avons surtout un véritable problème par rapport au métier d’enseignant. Les enseignants sont dévalorisés dans leurs statuts et n’ont pas suffisamment accès aux formations qui pourraient leur permettre d’améliorer leurs connaissances et leurs pratiques. Il faut donc agir sur le métier en soi pour le rendre plus attractif… et plus stimulant intellectuellement également.
ÉRIC CHARBONNIER
Je rebondis sur le sujet précédent, en première action, il faudrait ouvrir un grand chantier sur le métier d’enseignant et de chef d’établissement. Il faudrait recréer une dynamique positive à l’intérieur des établissements avec plus d’autonomie dans la prise de décision et le développement d’une culture de coopération. Plus de travaux interdisciplinaires et plus de formation continue.
Le deuxième levier serait de continuer la politique d’investissement sur les politiques d’éducation avec une réflexion approfondie sur la petite enfance. À mon sens, les inégalités qu’on voit en France commencent dès la petite enfance, avant même l’entrée en maternelle. La moitié des pays de l’OCDE ont des systèmes de petite enfance intégrés, c’est-à-dire que le ministère de l’Éducation est responsable des enfants de 1 à 6 ans. Le personnel est qualifié, la pédagogie est adaptée (souvent autour du jeu) et les jeunes enfants sont mieux préparés qu’en France à l’entrée à l’école. Dans les autres pays, la lutte contre les inégalités s’engage bien plus tôt qu’en France.
Le troisième levier, c’est qu’il faut vraiment faire quelque chose pour nos filières professionnelles. Les élèves inscrits en filière professionnelle au lycée ont des performances bien inférieures à ceux des autres pays. Il faut que ces voies d’orientation arrêtent d’être des voies “de garage”. Il faut les valoriser et préparer nos jeunes à des filières professionnelles exigeantes sur le plan des connaissances. On sait que les métiers vont beaucoup évoluer dans le monde de demain notamment avec l’intelligence artificielle et nous avons besoin de jeunes préparés à ce monde.
ÉRIC CHARBONNIER
Effectivement la réforme est critiquable, mais il faut savoir que le système du bac, comme il l’était auparavant, était déjà très inégalitaire. En France, on a un système très hiérarchisé et très différencié. Même en réformant, on a toujours tendance à recréer une hiérarchie et un classement. On avait la hiérarchie des filières ; le danger avec le nouveau bac, c’est d’avoir la hiérarchie des options… et de restreindre les élèves quant à leurs choix d’université. Il va falloir mieux articuler le passage entre le lycée et l’université pour permettre à tous d’intégrer la filière choisie.
Mais le fait d’avoir des options peut aussi mieux préparer les jeunes à leur avenir professionnel. C’est le but d’ailleurs ! Par exemple, je pense que le grand oral est une très bonne chose. Être à l’aise à l’oral est une compétence dont on a besoin au XXIe siècle.
ÉRIC CHARBONNIER
Oui, je le confirme. Il faut aller dans des directions comme la Suisse, l’Allemagne ou les Pays-Bas. Il faut que la voie professionnelle soit plus exigeante qu’actuellement pour offrir aux jeunes qui s’y sont engagés la possibilité d’aller à l’université jusqu’au niveau master, s’ils le souhaitent. La diminution du nombre d’heures de mathématiques, par exemple, va à l’encontre de ce degré d’exigence qui est pourtant indispensable pour un enseignement professionnel de qualité. En France, une fois qu’on a son Bac pro, on a beaucoup de difficultés à poursuivre ses études. Il faut développer des passerelles plus professionnalisantes et exigeantes.
ÉRIC CHARBONNIER
Oui, on peut dire qu’il y a en France un rapport particulier à l’autorité. Un chef d’établissement sur deux déclare que les enseignants sont effrayés par le changement. Cela montre qu’il faudrait vraiment que les chefs d’établissements et les enseignants soient plus proches, qu’il y ait vraiment une culture de coopération globale au sein des établissements, ce serait au bénéfice des élèves. Avec la liberté pédagogique, les enseignants ont souvent le loisir de faire ce qu’ils veulent à l’intérieur de leurs classes, mais cela ne leur permet pas d’échanger avec leurs collègues et d’avoir des pratiques pédagogiques qui aillent toutes dans le sens de la progression des élèves.
ÉRIC CHARBONNIER
Absolument ! Cela se traduit concrètement par le fait que différentes pratiques peuvent exister au sein d’un même établissement, au détriment des élèves. La qualité des enseignements varie beaucoup. Certaines pédagogies marchent avec des élèves et moins bien avec d’autres, et réciproquement. Cela ne veut pas dire que les enseignants sont bons ou mauvais. Cela veut dire qu’il faudrait mieux les “armer” avec différentes formations professionnelles pour qu’ils puissent transmettre les connaissances à acquérir en s’adaptant aux différents profils d’élèves. Et avec plus de collaboration entre les enseignants et avec le chef d’établissement, toute l’équipe pourrait travailler plus efficacement dans l’intérêt des élèves.
ÉRIC CHARBONNIER
Le constat est encore plus marqué dans les établissements défavorisés. C’est à relier avec les résultats de l’étude TALIS 2018 (Teaching And Learning International Survey – Enquête internationale de l’OCDE sur l’enseignement et l’apprentissage) selon laquelle les enseignants français se disaient les moins bien préparés dans la gestion des classes hétérogènes et des environnements multiculturels. Les enseignants eux-mêmes disaient qu’ils avaient besoin de plus de formations. Il y a un manque de préparation sur les aspects pédagogiques du métier qui explique en partie ces résultats.
Un élève sur deux se déclare être gêné par du bruit en classe…
ÉRIC CHARBONNIER
Le rapport montre bien un système d’éducation qui travaille pour les meilleurs élèves et pas forcément pour tous, notamment pas pour ceux qui sont en difficulté. En France, on a des programmes très longs et malheureusement, l’objectif des enseignants est souvent de pouvoir terminer ce programme scolaire. Les élèves peuvent décrocher. C’est pour cela qu’ils estiment ne pas recevoir l’aide qu’ils méritent pour suivre quand ils ont des difficultés.
Il est intéressant de noter que le manque de soutien aux élèves est encore plus marqué dans les établissements favorisés. Là où il y a les moyens, pourtant ! Cela veut dire que notre système crée aussi des inégalités dans ces écoles-là, alors qu’on sait bien que leur objectif est de mener les élèves dans les meilleures prépas post-bac. Il faut donc repenser notre programme éducatif et améliorer l’emploi du temps des enseignants. Faire en sorte qu’un enseignant puisse avoir des plages horaires durant l’année pour permettre aux élèves en difficulté de rattraper leur retard.
ÉRIC CHARBONNIER
Le manque de confiance a un impact sur les résultats scolaires et les ambitions professionnelles de l’élève (avoir envie de pousser ses études, d’avoir un métier prestigieux…). On voit même qu’on peut être un bon élève et manquer de confiance en soi. Je pense que notre pays a un système de notation qui n’encourage pas assez les élèves sur leurs points forts. Il faudrait réfléchir à un système plus encourageant.
Développer la confiance en soi, c’est aussi changer la façon dont on sanctionne les élèves sur leurs erreurs. Par exemple, sur la question des mathématiques, les élèves français sont les plus anxieux quant au fait d’avoir une mauvaise note dans cette matière. Il faut donc que le système n’encourage plus la peur, mais pousse l’élève à développer des compétences. Ce n’est pas grave de faire des erreurs, ce qui compte c’est d’essayer de comprendre pourquoi. À cause de la longueur des programmes scolaires, il y a peu de place durant l’année pour prendre le temps de comprendre et d’avancer avec les élèves qui en ont le plus besoin.
Nous sommes heureux qu’Éric Charbonnier, référent PISA à l’OCDE et expert du système éducatif français, ait choisi d’accorder une interview à notre Association dès la sortie des résultats de cette étude passionnante.
Nous tenons à lui présenter nos très sincères remerciements.
Nous nous retrouvons sur les grands enjeux à relever pour améliorer notre école :
- la lutte contre les inégalités sociales, avec la nécessité d’une école exigeante sur la maîtrise des fondamentaux pour atteindre l’objectif d’un socle commun de connaissances à tous les élèves ;
- l’accueil et l’accompagnement des élèves en difficulté, avec des prises en charge adaptées pour les élèves aux besoins pédagogiques spécifiques ;
- la formation des enseignants et la revalorisation de leur métier ;
- la formation des chefs d’établissement et une meilleure coopération avec leurs équipes pédagogiques ;
- la restauration de l’autorité en classe, afin que les élèves n’étudient pas dans le bruit et que toute l’heure de cours puisque être consacrée à faire classe ;
- la revalorisation de l’enseignement professionnel avec un niveau de connaissances attendues plus exigeant, et une possibilité d’accès au supérieur pour les élèves volontaires.
S’ajoute bien sûr à ces points la lutte de manière déterminée contre toutes les violences scolaires.
Nous avons souhaité solliciter une analyse de la part d’un expert sur cette actualité éducative, pour vous proposer un décryptage de grande qualité.