Pourquoi les enfants ont besoin des notes

Les enfants réclament d’être notés,
ET ILS ONT RAISON !

Ils se sont sentis abandonnés, orphelins de leurs efforts, quand les télévisions ont répété en boucle que les devoirs donnés pendant le confinement ne seraient pas notés. Donc leur travail, celui de leurs professeurs pour choisir leurs exercices, celui de leurs parents pour les imprimer, leur concentration à la maison, pour comprendre, trouver le chemin sur leur ordinateur, répondre et espérer une « bonne note » du maître, tout cela pour aucun retour ?

De bonnes intentions ont certes mû les conseillers du ministre, alertés par le nombre d’enfants décrocheurs, qu’on suppose sans matériel informatique pour se connecter, et sans aide pour travailler. La crainte légitime de stigmatiser l’écolier en difficulté d’apprentissage, ou sociale, a conduit à n’en reconnaître aucun dans ses efforts, au lieu de saisir l’occasion, par la recherche d’une note à mériter, d’impliquer les parents, de créer le lien entre les parents et les professeurs.

Bien sûr, la note ne doit pas être un outil d’humiliation, faisant violence à l’enfant comme autrefois la baguette sur les doigts, déclenchant sermons, punitions et offenses à son intelligence, effondrant son estime de soi. Ce sont ces comportements, exercés comme ces « violences éducatives ordinaires » que j’ai tant combattues, qui ont poussé de nombreux pédagogues à abandonner les notes.

Mais alors les lettres sont apparues, car la nécessité pour l’enfant d’être évalué s’est imposée. Puis très vite, les enfants ont transformé les lettres en notes. De D- à A+, une grille s’est vite reconstruite dans laquelle chacun cherche son niveau.

Ils ont besoin de repérer leurs savoirs, et d’une juste évaluation de leurs efforts. La peur de l’évaluation est la jumelle de la négation du savoir. La note doit évaluer le progrès. C’est sa progression qui compte, la recherche partagée, non pas de ce que « tu n’as pas compris » mais de ce que « je n’ai pas su t’expliquer », que la note permet de découvrir. Nous devons aller ensemble, parent et enfant, à la chasse joyeuse de ce que l’on n’a pas pu partager. La note est un trésor pour l’un comme pour l’autre.

Car notre cerveau est doté d’un réseau neuronal appelé « système de motivation et de récompense ». La notation, et sa présentation positive, est un outil pour activer ce système. Quand ce système est stimulé, l’enfant devient de plus en plus motivé et curieux, il a de plus en plus de plaisir à découvrir, à apprendre.

L’un des neurotransmetteurs essentiels de ce système est la dopamine. Cette neuro-hormone agit sur le cortex préfrontal. Quand l’enfant est récompensé par une note honorable, mais aussi quand il espère l’éventuelle récompense, une meilleure note, il y a sécrétion de cette molécule, qui lui permet de se projeter dans ses projets à l’école, de s’investir, d’avoir plus de courage pour les réaliser.

De plus, le confinement est justement un moment magique pour amplifier ce processus cérébral de récompense ! Car la sécrétion de la dopamine est justement favorisée par les moments d’intimité.

Un processus de réciproque récompense, ces moments privilégiés entre l’enfant et le parent qui l’aide dans son travail. Et la magie du confinement, c’est que les efforts sont produits avec le parent. C’est « notre » note. Quand il perçoit l’expression de fierté sur le visage de ses parents, toute une chaîne de neuro-hormones se déclenche, qui procure un sentiment de bonheur devant la gratification, si minime soit-elle, et lui donne envie de revivre ces moments de plaisir.

Ainsi, la notation, récompense partagée par les parents, le professeur et l’enfant, soutient ce système de motivation.

Si, à l’inverse, devant l’absence d’évaluation de ses efforts, l’enfant perçoit un désintérêt pour son travail, une indifférence de son entourage, il s’agite dans tous les sens, comme s’il avait perdu sa boussole, cherche à tout remettre au lendemain. Laissé à lui-même, sans effort à partager, sans découvertes à intégrer, l’enfant peut se démotiver, perdre son envie même de jouer, de lire, d’échanger.

Non, les notes n’aggravent pas la fracture scolaire si elles sont reçues comme une occasion de redonner à toutes les familles le plaisir d’apprendre. L’occasion est précieuse pour les enseignants d’adapter les devoirs à la compétence de l’entourage, de donner aux parents des outils pour pouvoir accompagner leurs enfants même s’ils n’ont pas bénéficié du même cursus scolaire. Il y a si longtemps que l’école s’est coupée des parents, a complexifié les savoirs, cassant la transmission intergénérationnelle. Le moment est venu pour la communauté éducative de recréer le lien et d’adapter ses demandes à chaque enfant.

La note est justement le clignotant qui permet l’échange avec les parents. Alors, évidemment, il faut s’occuper des parents qui ont été eux-mêmes humiliés dans l’enfance, pour au contraire les revaloriser dans le soutien qu’ils apportent à leur enfant ; les aider à trouver les bonnes stratégies, à se faire aider par les orthophonistes (beaucoup sont présent(e)s par vidéo, profitez-en !), par les associations d’aide aux devoirs.

Le confinement est malgré tout une belle occasion pour l’école de personnaliser l’enseignement, de prodiguer des cours de soutien, avec l’enfant et son parent, de retrouver cette alliance indispensable à la réussite de l’enfant.

Oui, le partenariat avec les parents entraîne des adaptations et vous êtes si nombreux, professeurs, à craindre les discussions autour des notes. Difficile d’être vraiment juste, dans le ressenti de l’élève et du parent. Mais ne cachez pas la poussière sous le tapis. « Pas de notes, comme ça tout le monde pareil », ce dogme ne fait progresser personne.

Ne pas offrir de note en cette période très parentale, c’est le signe d’une école qui dénie la participation des parents, la décourage. L’occasion au contraire est donnée de détecter les familles qui ne peuvent pas soutenir leurs enfants, et de leur donner les outils pour les faire entrer dans les savoirs indispensables à leur vie future. Car tout parent est ambitieux pour son enfant.

EDWIGE ANTIER

Pédiatre dont la carrière lui confère une reconnaissance internationale sur les questions de l’enfant et l’éducation. Ancienne interne des Hôpitaux de Paris, le docteur Antier est diplômée en psychopathologie.

Connue des parents pour ses nombreuses chroniques et émissions radio sur France Inter et France Info, Edwige Antier est également une femme politique reconnue, Députée de la République de juillet 2009 à juin 2012 pour le Parti Radical valoisien. Son premier combat et sa première victoire de femme politique et pédiatre a été l’obligation de dépistage de la surdité chez les nouveaux nés (Décret adopté en juillet 2012).
À partir de 2010, elle a milité pour l’interdiction des châtiments corporels sur les enfants, et déposé la première proposition de loi pour interdire la fessée, qui a été définitivement adoptée en juillet 2019.

Elle a pratiqué auprès des professionnels de crèches pendant 14 ans et exerce la pédiatrie à Paris. Elle est l’auteure de nombreux ouvrages parmi lesquels : J’aide mon enfant à s’épanouir (2005), Le Courage des femmes (2009), L’Autorité sans fessées (2010), Il est où mon papa ? (2012), Sois poli, dis merci (2014), J’aide mon enfant à avoir confiance en lui (2017). Son dernier ouvrage, qui explique son regard sur l’enfance, vient de sortir aux éditions de L’Archipel : Maman de tous les enfants du monde (2020).