Le déconfinement scolaire : on tourne en rond

On tourne en rond,
avec ce déconfinement scolaire

Dommage que le mouvement soit centrifuge, et pas centripète. Car, pour ma part, je n’ai qu’une certitude : avec ou sans virus, si on veut éviter une forte augmentation du nombre d’enfants en échec scolaire, en danger ou en déshérence, en prévision de la rentrée prochaine, en septembre, il faut les rassurer.

Ce sont les enfants qui doivent rester au centre du débat, pas le virus. Je dirais : malgré le virus. Car on pourrait presque penser le contraire, à force. Si on commençait par lister ce qu’on sait, au lieu de rêver un retour impossible vers une situation désormais caduque ? Tous les avis médicaux semblent concorder : les jeunes enfants sont peu porteurs et peu malades.

Le Covid 19 s’est installé et ne repartira plus. Au mieux, en attendant un vaccin dont on sait qu’il risque de n’être pas découvert et accessible avant 18 mois, soit 1 année scolaire et demi, les chercheurs identifieront des traitements.

L’incertitude au sujet de la durée du confinement générait angoisse, tensions et violences. Tout le monde demandait une date. On a eu une date. Alors, exactement de la même manière qu’un négatif devient, petit à petit, grâce au révélateur, une photographie, de virtuelle, l’école est devenue réelle. Jusqu’au 13 avril, les enseignants et les parents ont eu besoin les uns des autres. Ils se sont, en somme, trouvés. Ou retrouvés.

Pour que l’enseignement existe, tout simplement. Grâce au confinement, pour une fois, l’élève et l’enfant ont été réunis, ce qu’ils n’auraient jamais dû cesser d’être, et l’enseignement a été vu et pris en compte comme tel, ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être non plus. Les enseignants, dans leur grande majorité, ont tout donné. Les nouvelles technologies leur ont permis, en liaison quotidienne avec les parents, d’assurer une nécessaire continuité pédagogique. Ils ont inventé, téléphoné, parlé, expliqué, ils ont tout essayé pour ne laisser aucun de leurs élèves sur le bord de la route. Ils sont allés vers les parents. Qui ont reconnu qu’on ne s’improvise pas enseignant. Qui ont reconnu les enseignants, tout simplement. Les enseignants sont devenus réels, et l’école virtuelle.

Sauf que maintenant, entre la représentation inconsciente ou consciente de ce que signifie ce mot : école, et la réalité, il y a un gouffre. Cette école-là est terminée. Plus jamais nous ne la retrouverons. Progressivement, une prise de conscience a commencé à émerger, dès lors que les directives sanitaires ont été connues. Mais ce n’est pas du virus à proprement parler que beaucoup de parents ou d’enseignants ont peur. C’est de ne rien savoir de cette école qui doit être totalement réinventée.

De ce fait, les enseignants et les maires ont pu, d’une manière qui peut paraître légitime, se sentir agressés par 63 pages de directives qui ne pourront à l’évidence pas être appliquées à la lettre, mais qu’il leur faut tout de même appliquer pour rouvrir les écoles. Cette contradiction a été parfois reportée vers des parents qui ont alors reçu des directives tout aussi inapplicables. Il va falloir prendre conscience de la nécessité de débloquer la situation en grignotant jour après jour, l’espace de ce grand écart entre ce qui ne sera plus, et ce que nous créerons. Il est inutile d’avoir peur, et il est inutile d’attendre des mois, car dans des mois, la situation virale sera sans doute la même. Il nous faut commencer maintenant, ensemble.

Sinon les enfants resteront sur place. Pas tous : ceux pour qui c’est l’enfer à la maison. Qui sont seuls devant la télévision, humiliés par des adultes, parfois laissés dans un coin. Ceux pour qui l’école est, et reste, un abri, dans lequel on les empêche de se réfugier et d’apprendre. Ceux qui n’ont pas pu travailler durant ces deux mois. Qui peuvent encore reprendre pied. Mais pas tout seuls. Bien sûr, ceux qui n’ont pas ces soucis vont rebondir. Mais ceux qui sont déjà affaiblis vont reprendre avec beaucoup de difficultés, et plus le temps passe, plus il leur sera difficile de les surmonter.

Les enfants vont retourner à l’école. Ils attendent depuis si longtemps. Ils devaient rester confinés, comme tout le monde, jusqu’à ce que la première manche soit gagnée. Même chez ceux qui n’ont apparemment pas pâti de ce confinement. Parce que la place d’un enfant est à l’école. C’est seulement ainsi qu’il se légitime, lui, vis-à-vis de ses pairs et des enseignants, comme élève. C’est sa place de citoyen. De futur citoyen. L’empêcher de la prendre, c’est le placer d’emblée « à côté ». Où sera la responsabilité des adultes quand, plus tard, il ne se sentira nulle part à sa place ?

Car si la situation traumatisante que vivent depuis six semaines beaucoup d’enfants porteurs de facteurs de vulnérabilité, notamment psycho-affective, perdure, le risque qu’ils développent des troubles obsessionnels, phobiques, anxieux, est grand, et démontré. Risque auquel s’ajoutera celui, pour certains, de refuser d’apprendre, plus tard. Nous devons préparer positivement cette reprise. Ne perdons pas de temps.

Nous pouvons leur faire confiance, les semaines écoulées nous le prouvent. Ils vont dire. Ils vont proposer. Il est tout à fait possible de leur demander leur avis. Ils ont des idées sur ce qui, durant le confinement, les a aidés à travailler, à se concentrer. Ils peuvent imaginer des activités pour passer les récréations en classe, ou sans se toucher. Ce peut être un travail en français, par exemple, avant la reprise. Leurs enseignants et eux vont chercher et trouver comment vivre l’école différemment.

Concernant l’école maternelle, l’endroit et le moment où tout se joue, parents et enseignants doivent y préparer, dans un même discours, l’installation d’un climat de sécurité psycho-affective serein : oui, un danger, faible pour eux, existe, mais si les adultes pensent que sa place est à l’école, alors, l’enfant doit y aller sans crainte. Les choses vont démarrer comme on les aura préparées, selon les régions et les contextes, et avec ce que seront devenus les uns et les autres, avec ce que ce confinement aura généré d’humanité et de liens dans les familles et avec l’école. Si l’on veut que la rentrée des classes, en septembre, se passe du mieux possible, il est indispensable que les élèves partent en vacances en ayant une représentation consciente de cette nouvelle organisation scolaire. Donc, l’avoir vécue. Peut-être avec des adaptations, des difficultés, mais en tant qu’acteurs. Les enfants, une fois encore, ne sont pas des objets. S’ils n’avaient pas décidé de jouer le jeu, de se plier à cet enseignement à distance soumis au bon vouloir des connexions, d’Internet et autres médias, accepté ce rapprochement parents/enseignants autour d’eux, la continuité pédagogique serait restée lettre morte. Les enfants vont en principe s’adapter rapidement. Mais pour ce faire, il leur faut un projet, un objectif. En particulier, il est indispensable qu’ils aient une idée réelle, validée par leur(s) enseignant(s,) de leurs acquis après deux mois de travail confiné. Ils ne peuvent commencer une années scolaire en septembre sans avoir réellement terminé, en juillet, celle d’avant. Les enfants des classes maternelles veulent faire comme leurs camarades et bien faire.

Les élèves des classes primaires souhaitent être aimés, donc être de « bons » élèves.

Les collégiens et les lycéens ont besoin de se retrouver avec leurs semblables.

Aucun enfant maltraité par ses parents n’a envie de poursuivre l’école à la maison.

La majorité n’a aucun intérêt à tout recommencer à zéro. Ils ont compris, et si on ne les prend pas pour des objets, ils vont se montrer dignes de la confiance qui leur est témoignée.

ÉLISABETH GODON

Psychologue clinicienne, Élisabeth Godon s’est passionnée très tôt pour l’accompagnement des enfants en difficulté, et plus spécifiquement dans les manifestations de leurs difficultés à l’école

Après avoir participé à la mise en œuvre, durant une dizaine d’année, du secteur de psychiatrie en Guyane, et afin d’être au plus près de la réalité du terrain, elle décide de se former au professorat des écoles et d’enseigner en primaire. Elle enseigne au Cameroun, puis en Guinée, au Vietnam et à Paris, en zone d’éducation prioritaire. Elle y reprend sa casquette de psychologue, et tout naturellement, se consacre à l’accompagnement en milieu scolaire.
Armée des expérimentations et des stratégies ainsi développées pour recréer les liens entre les enfants, les parents et les enseignants, elle repart en Guyane, dans les écoles du fleuve Maroni.

Durant cinq années, cette psychologue scolaire part jour après jour, en pirogue, sur un fleuve ponctué de rapides, à la rencontre de ces enfants démunis que les lois font semblant de protéger, et dont elle veut restaurer la dignité grâce à l’école, en laquelle elle croit. Elle part ensuite en Guadeloupe, toujours au plus près des enfants en souffrance.

sychologue scolaire reconnue, elle est l’auteure de plusieurs ouvrages dans lesquels elle explique son travail de terrain, décrit les situations qu’elle a rencontrées et fournit des grilles de lecture pour une prise en charge au sein de l’école : Les enfants du fleuve : Les écoles du fleuve en Guyane française : le parcours d’une psy (2008), Mots pour maux à l’école primaire  Enseigner c’est possible ! (nouvelle version, 2020, Alopex). Son dernier ouvrage, publié aux éditions Alopex, vient de sortir : Que sont mes élèves devenus ? Mots pour maux à l’école primaire (2020, Alopex). Elisabeth Godon a par ailleurs écrit un roman, Un clair matin d’avril (2016) réédité dans les prochains jours.