Au pays de Pasteur et de Jules Ferry, doit-on confier son enfant à l’école le 11 mai ?

Les parents pressent aujourd’hui les pédiatres
de leurs questions angoissées,
ET LE DOUTE EST PUISSANT

Qu’avons-nous de plus précieux que notre enfant ?
Comment imaginer, devoir lâcher la main et voir notre petit filer, malgré nos recommandations, retrouver enfin son meilleur ami, pour être brutalement freiné par une exclamation :

  • Non ! On ne se précipite pas !
  • Respectez un mètre de distance !
  • On se lave les mains !
  • Mais pas tous à la fois !

L’idée vous inquiète des professeurs et assistantes masqués, tendus, les yeux fixés sur les petits élèves pour les empêcher de s’égayer dans la cour familière enfin retrouvée.
Il faudra reculer vite loin de la porte, pas question de s’approcher de l’autre parent anxieux qui s’éloignera déjà.

Les autorités ont dit : l’école, le 11 mai, ce sera facultatif. À vous de décider.

Comment ne pas être obsédé par ces souffles, qui pourraient transmettre des particules cornues, invisibles et mortelles, dont on nous a dit brutalement, le mardi 17 mars, devoir nous protéger en retirant notre enfant de l’école ?

Bien sûr, il y a l’élan du retour à la vie, à ses pairs, aux apprentissages, dans le cadre retrouvé, sa classe, le professeur, les cahiers, le tableau, selon le rythmes des heures, des récréations, du repas partagé…

Mais les questions affluent vers nous :

Docteur, croyez-vous que je doive conduire mon enfant à l’école ?

Voilà mes réponses :

Parlons d’abord expertise :
Selon les données des épidémies mondiales, chinoises, coréennes, italiennes, les enfants testés positifs représentent moins de 3 % des cas, et très peu de décès ont été décrits. Donc les idées initiales selon lesquelles les enfants seraient plus contaminés que les adultes, semblent bien erronées, c’est l’inverse.
Le ministre de la santé a fixé la nouvelle démarche : on va dépister, tester, isoler. Au pays de Pasteur, il était temps !

Parlons surtout de chaque enfant :
Celui qui a des parents pédagogues, de ceux qui, passionnés par l’éducation de leur enfant, le cultivent par leurs échanges, leurs histoires, leurs jeux, autant que par le suivi de leurs acquisitions et des propositions pédagogiques envoyées par les professeurs. Si l’un des deux parents est disponible et entretient ainsi les connaissances de l’enfant, et même les enrichit, en effet, pourquoi prendre un risque qu’il soit contaminé, transporte le virus à la maison, même si le risque est faible ? Oui, tant que vous pouvez ainsi vous organiser, il est bien chez vous. Vrai pour la maternelle mais aussi pour le primaire. Vous avez découvert des sites très intéressants, et vous entretiendrez les petites révisions avec quelques cahiers de vacances ludiques cet été. En septembre, il sera prêt pour la rentrée. Vous soulagez ainsi l’école, qui peut se dédier à d’autres enfants, ayant bien plus besoin d’y retourner.

Car, pédiatre, je suis aussi auprès de celui qui a des besoins particuliers…

  • Bien sûr, ces décrocheurs qui n’ont pas la chance d’avoir une famille « scolaire » et pour lesquels, l’inclusion dans les classes à moindre effectif peut être une chance. Comme l’ouverture de l’école l’été pour des apprentissages sous un angle différent.
  • Auprès des enfants atteints du syndrome d’hyperactivité, ou de troubles du spectre autistique. Ces enfants pour qui le confinement est une souffrance, dont les parents sont épuisés, pour lesquels la scolarisation est une nécessité, accompagnés de leur AESH, sans doute à mi-temps et alors idéalement complétée par des professionnels spécialisés dès qu’ils pourront retrouver leurs séances de rééducation l’après-midi. Pour ces familles-là, le retour à l’école et les aides doivent être une priorité.
  • Et pas un jour de confinement où je n’ai pensé aux enfants soumis à des violences éducatives. Il y a urgence qu’ils retournent à l’école, la soupape qui leur permet de souffler. Avec la diminution d’enfants par classe, il y a plus de chances que l’école décèle la tension dans le foyer, puisse dire sa préoccupation aux services sociaux… Ces enfants-là, pour lesquels les appels urgents au 119 ont augmenté de 60 % !

Et puis je pense à tous ces parents obligés de travailler. Mais alors, j’espère que l’entreprise tiendra compte de cette situation et qu’elle adaptera les horaires de ses équipes pour épargner les temps inutiles et hâter le retour à la maison. Les rythmes mieux adaptés à la vie de famille n’ont pas empêché les économies scandinaves d’être florissantes !

Avec une école réorganisée, les enfants, moins nombreux, pourront avoir des journées allégées, manger dans leur classe, avoir des récréations bien surveillées et des activités extra-scolaires organisées.

Nos collégiens, eux, sont capables d’apprendre les gestes barrières ; préparez-les à respecter les consignes, ne pas faire les potaches avec le gel et respecter les efforts mis en œuvre par leurs professeurs. Ils ont appris que la révolution digitale ne servait pas qu’à des jeux abrutissants, mais aussi à se cultiver, s’exercer, créer, et échanger avec leurs enseignants.

Cette révolution interpelle de façon pertinente Sophie Audugé : quid de la « fameuse continuité pédagogique » ? Je pense que oui, les dogmes en auront pris un coup, l’alliance pédagogique avec les parents aura prouvé sa légitimité. J’espère le moment où ils seront entendus jusqu’à la commission des programmes, souvent à l’origine de la fracture générationnelle entre les familles et les enfants, qui a tant aggravé la fracture scolaire.

Alors oui, professeurs, au pays de Jules Ferry, c’est votre moment de monter au front.
Bien sûr avec des masques et des toilettes enfin dotées de savon et d’essuie-mains !

La stratégie que vous allez afficher montrera à vos élèves que lorsqu’un danger menace, les adultes s’organisent. Moi-même fille de professeur, qui ai connu la guerre d’Indochine, les dix-sept kilomètres dans la Citroën matin et soir pour relier le lycée français de Saigon aux rizières de Binh-Dong, devant les temples et leurs baguettes d’encens conjurant le choléra, parfois sous les grenades Vietminh, je sais combien le sang-froid des adultes permet d’affronter les épreuves. Pour l’enfant, la peur, c’est celle qu’il lit dans les yeux de ses parents, de ses maîtres, c’est le toit de sa maison, de son école qui tremble. Montrons-leur l’exemple.

EDWIGE ANTIER

Pédiatre dont la carrière lui confère une reconnaissance internationale sur les questions de l’enfant et l’éducation. Ancienne interne des Hôpitaux de Paris, le docteur Antier est diplômée en psychopathologie.

Connue des parents pour ses nombreuses chroniques et émissions radio sur France Inter et France Info, Edwige Antier est également une femme politique reconnue, Députée de la République de juillet 2009 à juin 2012 pour le Parti Radical valoisien. Son premier combat et sa première victoire de femme politique et pédiatre a été l’obligation de dépistage de la surdité chez les nouveaux nés (Décret adopté en juillet 2012).
À partir de 2010, elle a milité pour l’interdiction des châtiments corporels sur les enfants, et déposé la première proposition de loi pour interdire la fessée, qui a été définitivement adoptée en juillet 2019.

Elle a pratiqué auprès des professionnels de crèches pendant 14 ans et exerce la pédiatrie à Paris. Elle est l’auteure de nombreux ouvrages parmi lesquels : J’aide mon enfant à s’épanouir (2005), Le Courage des femmes (2009), L’Autorité sans fessées (2010), Il est où mon papa ? (2012), Sois poli, dis merci (2014), J’aide mon enfant à avoir confiance en lui (2017). Son dernier ouvrage, qui explique son regard sur l’enfance, vient de sortir aux éditions de L’Archipel : Maman de tous les enfants du monde (2020).